Introduction
Genève, au moment de la création de l’institution, est en pleine ébullition culturelle et politique. La ville voit fleurir toute sorte de cercles, clubs, salons et sociétés dans lesquels s’échange idées, connaissances et opinions. Qu’il s’agisse de savoirs scientifiques, littéraires ou politiques, la profusion de ces groupes crée un contexte propice à l’instruction. La première appellation de l’institution en témoigne : il s’agit de la Société genevoise des amis de l’instruction.
Créée le 27 septembre 1842, elle réunit une douzaine de membres désirant s’instruire, mais de façon apolitique. Expliquons cette volonté : chacun de ces premiers membres sont démissionnaires d’un autre cercle, celui de la Société des Bergues, où les discussions politiques ont pris le pas sur l’instruction. C’est donc en réaction à ce travers qu’ils créent cette nouvelle Société.
Il faut préciser que durant les années 1840-1850, les tensions politiques opposant les radicaux aux conservateurs vont grandissantes. L’enjeu du conflit étant réel, il y a parfaitement de quoi s’en préoccuper. Quoi qu’il en soit, ces « amis de l’instruction » s’en détachent avec fermeté et, comme le précise le premier article des statuts de la section de récitation, « tendent au goût du beau et à l’élévation de l’âme » sans se préoccuper de politique.
Une société à l’âme genevoise du XIXe siècle
Dès les premières années de sa création, le succès est au rendez-vous. Les adhérents augmentent, les locaux disponibles viennent à manquer ou deviennent trop exigus. En 1874, et après plusieurs déménagements, une souscription est ouverte auprès des membres en vue de la construction d’un immeuble. Le contexte immobilier étant favorable, le projet avance rapidement, le mandat est confié à l’un des membres, l’architecte Jacques-Elysée Goss, qui vient juste de recevoir le mandat du Grand Théâtre qui, lui commanditera le beau lustre auprès de la fameuse maison « Lacarrière Delatour & Cie Paris Fondeur ».
L’immeuble est inauguré le 14 octobre 1876 et situé à la rue Bartholoni. Parmi ses locaux, quatre salles sont dédiées à la société : la salle des soirées (le théâtre) et 3 salons (un pour la conversation, un pour les sections, un pour la peinture). L’expression « aller aux salons » ou « le théâtre les Salons » vient de là, tout comme l’actuelle appellation : la Fondation les Salons.
Bien ancrée dans sa ville, et représentative de sa vie culturelle, elle accueille des personnalités locales de renom (Jean-Henri Merle d’Aubigné, Rodolphe Töpffer, Joël Cherbuliez, John Petit-Senn, Paul Chaponnière) qui y donnent des cours ou des conférences. Parmi ses nombreuses activités, bon nombre de celles-ci sont vouées à la commémoration d’évènements constitutifs de l’identité genevoise et nationale.
Paradoxalement, l’apolitisme initial se marie naturellement avec un patriotisme affirmé. L’âme de l’institution est empreinte d’un esprit conservateur, rigoureux et respectueux des traditions, mais aussi de la curiosité éclairée liée à la propagation des savoirs et à un idéal d’instruction.
Récitation, théâtre d’avant-garde, succès et reconnaissance
Si, à ses débuts, la Société fait honneur à la poésie et la littérature à travers l’art de la récitation ; progressivement, et en arrivant au tournant du XIXe siècle, c’est la pratique de l’art dramatique qui prend le devant de la scène.
La « période Arlaud » (1895-1910 env.) est une période intense. Georges-Louis Arlaud, cumulant les fonctions de président, de metteur en scène et de comédien, portera le théâtre des Amis au succès et à la popularité. L’exigence et le charisme de cet homme associé au fait que l’institution possède le monopole des lieux voués à l’art dramatique ne peuvent que concourir à la réussite. De surcroît, le théâtre en langue française vit une révolution: un nouveau genre, avec de nouveaux textes (parfois traduits d’auteurs non-francophones), fait son apparition. Ce genre, qualifié en son temps d’avant-gardiste, sera largement exploité par M. Arlaud.
Georges Baroz, le metteur en scène qui lui succède dès 1911, continuera sur la lancée et entretiendra l’excellence des prestations de la troupe. Il n’est d’ailleurs pas rare que le Grand Théâtre accueille des productions de la troupe des Amis de l’Instruction, et ce, jusque dans les années 1930. L’activité théâtrale est à son apogée et certaines années, six pièces sont montées par la troupe !
La seconde moitié du XXe siècle est moins active pour la Société. La multiplication de l’offre culturelle faite aux genevois (théâtres, cinémas, radio, télévision, clubs de danse, etc.) en est la principale raison. La baisse des membres s’accompagne d’une baisse des activités.
Pourtant, un événement marque le paysage culturel genevois dès 1961 : c’est le cinéma l’Ecran. Les locaux sont loués pour projeter du cinéma d’auteur et d’avant-garde. La programmation pointue et exigeante mise en place par Pierre Barde se constitue rapidement un public fidèle, et ce durant plus de 20 ans. Malheureusement, en 1984, la vétusté des équipements entraîne l’interdiction d’exploitation de la salle.
La richesse des archives
Les archives de l’institution représentent huit mètres linéaires de documents consignés dans soixante cartons de conservation. Un premier aspect de leur richesse réside dans la complétude des documents datant du XIXe siècle : tous les procès-verbaux de toutes les sections y sont compilés, ce qui permet de se plonger avec précision dans l’histoire de la Société au temps de sa création. D’autre part, le don de documents d’Etienne Duparc, comédien sous la présidence de Georges-Louis Arlaud, composé de photos et d’affiches de spectacles de très bonne qualité, permet de se figurer une part de l’univers théâtral genevois au début du XXe siècle.
L’institution n’a cessé de s’adapter au long des 175 années de son existence. Et ce, afin de correspondre aux attentes de ses membres et de son public. Elle suit donc les mutations de la société et y participe dans sa mesure. Cela fait d’elle une institution profondément genevoise. Au moment d’écrire ces lignes, en 2017, elle est une fondation en plein essor – achevant de professionnaliser son activité – et fidèle à son indépendance apolitique et financière. Qui sait quelle sera son évolution pour les décennies à venir …
Le présent texte a été écrit à l’aide des principales sources suivantes :
COURT Pauline et FLUMET Laurent, Des Amis aux Salons, Aperçu historique, Genève, 2010.
SCHOPFER Fréderic, Société Genevoise des Amis de l’Instruction, Livre du Centenaire 1842-1942, Imprimerie H. Studer, Genève, 1942.
CHERBULIEZ Joël, Genève, ses institutions et ses mœurs, son développement intellectuel et moral, esquisse historique et littéraire, Librairie Cherbuliez, Genève, 1867.
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Les fonds d'archives de la Fondation les Salons conservent quelques splendides gravures. Ici, une scène de l'Escalade, combat gagné par les genevois contre les savoyards (soldats du duché de Savoie et non originaires de Haute-Savoie) en 1602.
Cette commémoration - que la société ne manque sous aucun prétexte - est l'occasion de montrer le travail effectué dans les sections (récitation, vocale, instrumentale). Le "repas de l'Escalade" s'annonce copieux, tout comme son programme !
Le théâtre tel qu'il est présenté dans la plaquette de la Société en 1924
Cette photo, prise par le président et photographe Georges-Louis Arlaud, suggère une activité dramatique de qualité : le décor en trompe-l'œil, les costumes ainsi que la photographie sont soignés.
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